Ce matin, j'ai co-signé une tribune avec
Razzy Hammadi mon collègue député de Seine-Saint-Denis sur le site "Le
Huffington Post" :
Voir la tribune sur le site "Le
Huffington Post" en cliquant ici.
Le mandat de Nicolas Sarkozy aura été
marqué par une instrumentalisation honteuse de la laïcité, remise en cause
lorsqu'il s'agissait de contraindre les municipalités à prendre en charge le
financement des écoles privées, dévoyée lorsque pour montrer du doigt
l'"étranger", la figure du "musulman" devenait celle du
bouc-émissaire permettant de chauffer les salles de meeting de l'UMP ou du FN.
Que ce soit au travers du débat portant
sur la soi-disant "identité nationale" jusqu'aux dernières heures de
la campagne présidentielle qui n'aura eu de cesse de stigmatiser des millions
de nos concitoyens de confession musulmane, jamais dans le champs du débat
républicain le seuil de tolérance vis-à-vis de la xénophobie n'avait été à ce
point repoussé.
Nous aurons vu tout au long du mandat de
Nicolas Sarkozy, la pulsion l'emporter sur la raison, le fait divers quotidien
faire office d'amendement à la loi et le vivre-ensemble attaqué par la parole
publique érigeant le modèle du tous contre tous ou, en l'espèce du tous contre
la "minorité" ainsi définie.
La gauche ne doit en aucun cas donner le
sentiment d'être dans la continuité. Et la rupture que nous devons incarner sur
ces sujets doit être guidée par trois principes : la raison, le droit et nos
valeurs qui définissent la laïcité au travers des devoirs qu'elle implique mais
aussi des droits qu'elle garantit.
Qui a voulu comprendre ce que la Cour de
cassation a dit ? Pourquoi de trop nombreux élus feignent d'ignorer le renvoi
en appel sur laquelle le pouvoir politique ne devrait se permettre aucun
commentaire et moins encore, une disposition législative ou réglementaire,
alors même que le travail de la justice se poursuit ? Pourquoi les regards se
concentrent-ils exclusivement sur l'arrêt "Baby-Loup" alors qu'une
seconde décision a été rendue le même jour par la même juridiction sur des
faits similaires, avec une issue bien différente ?
Car ce sont bien deux décisions qu'il
faut lire en regard, et qu'il faut lire avec mesure. C'est ce que nous
voudrions faire ici. Mais auparavant, quelques mots de la notion de laïcité,
que chacun semble modeler selon ses convenances.
La laïcité recouvre plusieurs aspects
qui ne peuvent se lire qu'ensemble. D'abord la République ne salarie ni ne
subventionne aucun culte, et assure la neutralité du service public, bien sûr.
Mais aussi et avant tout, elle "assure la liberté de conscience" et
"garantit le libre exercice des cultes" - pour reprendre les termes
de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905.
Par conséquent, l'Etat doit empêcher,
sous les seules réserves de l'ordre public, que quiconque ne voit sa liberté de
conscience réduite ou entravée. Cela concerne au premier plan les salariés, qui
sont susceptibles d'être l'objet de pressions ou de discriminations de la part
de leurs employeurs.
Cette mission de l'Etat et l'influence de l'Union européenne ont conduit la
France à adopter des lois très protectrices des libertés individuelles des
salariés : c'est heureux. On trouve ainsi dans notre Code du travail
l'interdiction de toute différence de traitements non justifiée par "une
exigence professionnelle essentielle et déterminante". De même, le
Règlement intérieur d'une entreprise (c'est de cela qu'il s'agit ici) ne peut
contenir de stipulation discriminant les salariés à raison, notamment, de leurs
convictions religieuses.
En conséquence, pour la Cour de
cassation "les restrictions à la liberté religieuse doivent être
justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence
professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but
recherché". Il s'agit de faire respecter la liberté de conscience au sein
des entreprises privées.
Un seul principe pourrait faire obstacle
à cette règle, prolongement de la laïcité : le principe de la laïcité lui-même,
pris cette fois-ci dans son autre composante : la neutralité du service public.
Encore faut-il qu'il s'agisse du service public ! C'est sur ce point que la
Cour de cassation s'est prononcée dans les deux décisions du 19 mars 2013, en
invalidant le licenciement d'une employée pour avoir porté le "voile
islamique" (sic) et en validant celui d'une autre employée pour les mêmes
motifs. Il s'agissait de deux entreprises privées : une crèche d'un côté, une
caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'autre. Les deux participent à
l'évidence d'un intérêt général : veiller sur les enfants en bas âge, assurer
l'indemnisation des malades. Pour autant, une différence essentielle existe
entre ces deux opérateurs : l'une - la CPAM - assure une mission de service
public, c'est acquis depuis longtemps ; l'autre - la crèche - n'assure qu'une
activité privée, fort utile certes, mais qui ne participe pas d'un service
public.
Jamais la loi ni les juges n'ont affirmé
qu'une crèche de droit privé serait par essence "chargée d'une mission de
service public". Et la droite a choisi, lorsqu'elle a transposé la
directive européenne dite "Services" en 2010, de refuser ce statut
aux crèches... Quoi de plus naturel alors que la Cour de cassation en dise
autant ? Et surtout, quoi de moins naturel que les réactions des élus de
l'opposition qui auraient dû anticiper les conséquences de leur propre
législation ?
Les décisions de la Cour de cassation ne "fissurent" donc en aucune manière
le principe de laïcité. Elles renforcent au contraire ses deux aspects
essentiels : la neutralité du service public qui est étendu jusqu'aux
entreprises privées dès lors qu'elles sont chargées d'une mission de service
public ; et la protection de la liberté de conscience au sein des autres
sociétés, purement privées.
La laïcité ne peut servir de prétexte à ces entreprises privées pour faire
échec aux libertés individuelles des salariés, garanties par l'Etat. Seules des
circonstances précises, essentielles et déterminantes peuvent autoriser une
interdiction du port du voile au sein de l'entreprise. A charge pour le patron
de démontrer en quoi cela nuit à ses affaires, par exemple en cas de contact
permanent avec la clientèle.
Sur ce point, la décision annulée par la
Cour de cassation avait jugé ainsi : "les enfants, compte tenu de leur
jeune âge, n'ont pas à être confrontés à des manifestations ostentatoires
d'appartenance religieuse". Je veux ici, pour conclure, risquer une
suggestion personnelle. Ce genre de propos reflète-t-il notre philosophie ?
Est-ce bien là l'esprit qui anime la République française, celui de la
"confrontation"? Voulons-nous, comme Tartuffe, couvrir partout ces
signes religieux que nous ne saurions voir, et interdire le port du voile, de
la kippa et du turban sikh partout en France, dans les entreprises privées et
pourquoi pas dans la rue ? Pour que les enfants n'y soient pas
"confrontés" ?
Ce
n'est pas notre vision d'un Etat Républicain et laïc.
Si ce débat nous attriste autant c'est
parce que nous sommes profondément attachés à la loi de 1905, et que nous
craignons pour elle, à force de la voir malmenée pour des causes électorales et
sondagières qui lui sont radicalement étrangères. Débattons, échangeons,
partageons nos arguments, mais avant d'évoquer une quelconque loi ou
réglementation, respectons le droit, faisons preuve de raison, et défendons la
laïcité, celle qui rassemble, et non son instrumentalisation qui vise avant
tout à stigmatiser, en nourrissant à la fois le rejet de l'autre et la
stigmatisation.
Et surtout, que la gauche laisse à la
droite cette triste besogne - dont elle s'acquitte déjà fort bien, à notre plus
grand regret.
Les commentaires récents